Le dynamisme de la composition - l'ellipse formée
par le regroupement des personnages, vus de trois quarts ou de profil - crée
l'impression d'un déroulement, d'un mouvement continu. Le cadre de cette scène
de rue est fantaisiste. Il montre cependant que les jeux du carnaval, cantonnés
à l'origine aux portes de la ville, ont envahi progressivement l'espace urbain.
Le XVIIIe siècle vit encore au rythme des fêtes saisonnières, religieuses,
royales… La peinture des disciples de Watteau (Lancret, Pater) perpétue le
souvenir des fêtes aristocratiques et galantes dans les parcs. Parures
élégantes, grâce des attitudes sont autant d'armes pour séduire et être
distingué. La fête populaire vise au contraire à abolir toute distinction, à
faire naître une conscience et une sympathie collectives, s'il faut en croire
Rousseau.
La réalité ordinaire du peuple parisien est celle
de l'entassement (une pièce par famille). L'isolement, même pour les gestes les
plus intimes, n'existe pas. La rue boueuse et malodorante envahie par les
échoppes et les ateliers, l'immeuble surpeuplé sont autant de scènes publiques.
Rien ne peut s'y vivre secrètement. Disputes conjugales, amours clandestines…
Tout se sait et les commentaires font et défont les réputations.
Étienne Jeaurat (1699-1789) est l'un des rares
peintres du XVIIIe à représenter le Paris populaire où vie privée et vie
publique sont (presque) confondues. Peint en 1751, Le Carnaval met en scène le
"désordre réglé" des fêtes qui débutent le jour des Rois et
s'achèvent le mercredi des Cendres. Mascarades, déguisements burlesques et
chansons ordurières sont aussi l'occasion de dénoncer dans chaque quartier les
écarts de comportement : filles trop libres, maris trompés ou femmes
autoritaires.
Cette farandole où l'on devine au centre un mannequin
de carnaval, condamne, sur le mode grotesque, la confusion des rôles. Au milieu
des cris des enfants, sous le regard hilare de la foule, une femme fait danser
un jeune homme. Elle fume la pipe et joue du tambour, deux accessoires dérobés
au monde masculin. Quant à lui, revêtu d'un tablier et d'une coiffe féminine,
il jongle avec des instruments de cuisine.
Au second plan, deux jeunes femmes entraînent en
pèlerinage galant un homme en jupe rouge. Un peu à l'écart, un groupe de femmes
observe le spectacle avec un mélange de crainte et d'attirance. Aucune
n'aperçoit le gamin qui s'apprête à leur lancer du sable ? de la farine ? un
œuf ? projectiles traditionnels du carnaval.
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